En Allemagne, les politiques cherchent comment répondre à l’hécatombe industrielle

Alors que les licenciements touchent les travailleurs allemands de l'automobile et de l'acier, les syndicats menacent de lancer de larges mouvements de grève et les responsables politiques se démènent.

Nov 28, 2024 - 05:00

BERLIN — Au cœur du plus grand constructeur automobile allemand, Volkswagen, les hommes politiques ont longtemps été capables d’éviter le pire. Aujourd’hui, il semble qu’ils n’y parviennent plus.

Alors que le constructeur menace de fermer des usines allemandes pour la première fois en 87 ans d’existence, les responsables politiques qui, depuis des décennies, protègent les travailleurs des licenciements massifs, ont du mal à trouver des réponses face à la frustration croissante des travailleurs et à la menace de grèves massives.

“A mesure que le temps passe, nous nous rendons compte que de nombreuses personnes sont tout simplement furieuses contre ce qui est en train de se passer”, a déclaré Thorsten Gröger, négociateur en chef d’IG Metall, le plus grand syndicat d’Allemagne.

Gröger a indiqué que des “grèves d’avertissement” auraient lieu avant le 9 décembre, avant le prochain cycle de négociations avec la direction sur les réductions de coûts, et a menacé de prendre des mesures beaucoup plus radicales si les discussions tournaient mal. “Il y a la possibilité d’un mouvement social de grande ampleur, a-t-il prévenu. Nous y sommes préparés.”

Ces défis surviennent à un moment où le gouvernement allemand est dans l’incapacité d’agir à la suite de l’effondrement de la coalition tripartite au pouvoir au début du mois. Il pourrait s’écouler plusieurs mois avant que la République fédérale ne se dote d’un nouveau gouvernement, car les négociations entre les partis pourraient s’éterniser bien après les élections du 23 février. Même dans ce cas, le frein constitutionnel à l’endettement du pays, qui restreint les dépenses, limitera probablement la puissance de feu de la nouvelle coalition.

En Allemagne, il existe peu de symboles plus puissants des difficultés économiques croissantes du pays que le déclin de Volkswagen (VW). Face à la chute de ses bénéfices, à la stagnation de ses ventes en Europe et à l’effondrement de son principal marché, la Chine, le constructeur automobile a annoncé à la fin du mois dernier qu’il prévoyait de fermer des usines sur le sol allemand.

Les premiers investissements dans la technologie des voitures électriques ont été affectés par des retards et des coûts élevés, ce qui a conduit VW à se laisser distancer par son rival américain Tesla et l’entreprise chinoise BYD. Si le président élu des Etats-Unis, Donald Trump, mettait à exécution sa menace d’imposer des droits de douane sur les importations européennes, cela aggraverait encore la situation déjà difficile des travailleurs des usines allemandes.

Les problèmes de VW sont représentatifs de l’état de l’industrie allemande en général, avec des usines dans tout le pays qui connaissent une hémorragie d’emplois. Parmi les mauvaises nouvelles économiques, une a fait du bruit cette semaine : le sidérurgiste Thyssenkrupp a annoncé qu’il pourrait supprimer jusqu’à 11 000 postes d’ici à 2030.

Mais les difficultés du secteur automobile toucheront l’Allemagne très fortement. La filière représente 11% des emplois manufacturiers du pays, entre les marques automobiles et leurs fournisseurs. Bosch a annoncé la suppression de 3 500 emplois ; ZF Friedrichshafen envisage de licencier au moins 12 000 personnes d’ici à 2030 ; Continental envisage de supprimer 5 500 postes dans le monde.

“Les défis sont plus profonds et plus importants”

Les problèmes de l’Allemagne affaiblissent l’Europe à un moment où la France, deuxième économie de l’Union européenne, est de plus en plus dans la tourmente. Marine Le Pen menace de faire tomber le fragile gouvernement Barnier. Si tel était le cas, cela pourrait effrayer les marchés financiers.

En Allemagne, la conjonction de mauvaises nouvelles économiques avec la paralysie politique attise la colère avant les élections anticipées prévues pour le 23 février. Cette colère est particulièrement susceptible d’avoir un impact sur le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier Olaf Scholz, qui soutient traditionnellement les travailleurs et dont les scores dans les sondages sont déjà désastreux.

La Basse-Saxe, où se trouve le siège de VW, reste un bastion du SPD, et le parti est inextricablement lié au constructeur automobile. Le Land détient une participation de 20% dans VW et son ministre-président, Stephan Weil, membre du SPD, siège au conseil d’administration.

“A mesure que le temps passe, nous nous rendons compte que de nombreuses personnes sont tout simplement furieuses contre ce qui est en train de se passer”, a déclaré Thorsten Gröger, négociateur en chef d’IG Metall, le plus grand syndicat d’Allemagne. | Ronny Hartmann/AFP via Getty Images

“Grâce au soutien du Land, VW est devenue une grande entreprise prospère à l’échelle mondiale au cours des soixante-quinze dernières années”, a retracé Weil dans une interview accordée au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Avant d’ajouter qu’il ne serait pas “judicieux de démanteler les installations coûteuses” qui ont été construites pour produire des voitures électriques.

Les solutions proposées par Weil sont très familières : il souhaite rétablir les subventions fédérales pour l’achat de voitures électriques ou créer des incitations fiscales pour les consommateurs. Le SPD, ainsi que les Verts, souhaitent relancer plus largement l’industrie électro-intensive en réduisant les prix de l’énergie via des subventions.

La question est de savoir si de telles mesures — même si les responsables politiques parvenaient à se mettre d’accord — seraient suffisantes compte tenu des énormes problèmes structurels auxquels l’Allemagne est confrontée.

Alors que la guerre en Ukraine et la montée du protectionnisme modifient fondamentalement le commerce mondial qui a servi de base au modèle allemand, tourné vers l’exportation, les responsables politiques du pays sont confrontés à une vérité inconfortable : les outils habituels dont ils disposent risquent de ne pas suffire.

“Les défis sont plus profonds et plus importants que nous ne l’avons peut-être admis dans les débats et les décisions politiques de ces dernières années”, a considéré Robert Habeck, ministre de l’Economie et membre des Verts, lors d’un sommet sur l’industrie mardi.

A l’approche d’une élection où la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) figure en deuxième position dans les sondages, les partis traditionnels devront probablement faire face à un revers de plus en plus fort dans les urnes.

“La question de savoir comment résoudre la situation chez Volkswagen est un exemple de la manière dont nous résoudrons les problèmes futurs de l’industrie dans son ensemble”, a estimé Gröger, le syndicaliste. L’urgence de la situation, a-t-il ajouté, exige une “action politique concrète” et non de “belles affiches de campagne électorale”.

Jordyn Dahl a contribué à cet article.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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