Face à Trump, l’Europe fait le choix risqué de l’attentisme

L’UE préfère attendre de voir ce que va faire Donald Trump, plutôt que d’annoncer des mesures préventives.

Nov 28, 2024 - 01:00

Quand l’Europe se préparait à la présidentielle américaine, certains dirigeants s’inquiétaient de ne pas avoir de plan en place pour un éventuel second mandat de Donald Trump.

Maintenant qu’il va devenir le prochain président des Etats-Unis, ils n’en ont toujours pas.

La préparation discrète d’un plan par l’Europe en vue d’une nouvelle administration Trump tumultueuse s’est avérée être une opération risquée d’attentisme, plutôt qu’une action préventive.

Avec ses deux plus fortes puissances économiques, la France et l’Allemagne, en position de faiblesse politique, et une montée du populisme de droite à l’intérieur de ses frontières orientales, il n’y a pas grand-chose que le leadership collectif de l’Union européenne puisse être encouragé à faire.

Les diplomates et les responsables européens s’efforcent maintenant de comprendre dans quelle mesure les promesses de campagne de Trump concernant l’Europe — à savoir, mettre à l’arrêt l’économie du continent par le biais de droits de douane et étendre la guerre de la Russie en Ukraine à son territoire — seront appliquées.

Ainsi, après des mois de tergiversations sur la préservation de la sécurité et du commerce européen, Bruxelles attend surtout de voir les projets de Trump, notamment sur ces deux dossiers, plutôt que d’annoncer des frappes préventives qui pourraient l’inciter à prendre des mesures qui feraient des dégâts, relatent des diplomates et des responsables de l’UE de haut rang.

L’Union est “en mode écoute”, décrit un diplomate européen de haut rang à qui, comme d’autres, l’anonymat a été garanti pour parler des négociations sensibles. Cette approche passive est probablement due au fait, qu’aux Etats-Unis, le Parti républicain est plus enhardi cette fois-ci par la victoire de Trump qu’après le choc de 2016. Et parce que l’UE a plus à perdre.

Immédiatement après l’élection, les dirigeants européens se sont empressés de féliciter l’ancienne star de la télé-réalité, sans aller sur le terrain de la morale, contrairement à leurs messages en 2016. Ils se sont montrés enclins à collaborer avec l’équipe de transition de Trump et agitent déjà des carottes pour que les relations démarrent du bon pied.

“Il s’agira d’un gouvernement d’un genre tout à fait différent, qui perturbera beaucoup plus les intérêts européens que la dernière fois, à un moment où les enjeux sont beaucoup plus importants”, estime Mark Leonard, du Conseil européen pour les relations internationales.

Armes, argent et droits de douane

Ces derniers mois, avant la présidentielle américaine, les dirigeants européens se sont efforcés de montrer publiquement qu’ils continuaient à soutenir l’Otan et l’Ukraine, alors même que Trump affichait une hostilité flagrante à l’égard de l’aide apportée à Kiev. Ses promesses répétées de mettre fin à la guerre dès le début de son mandat ont suscité l’inquiétude des alliés européens de l’Ukraine quant à ce qu’un tel changement de la politique américaine pourrait signifier pour ce pays déchiré par la guerre et pour le continent pro-Ukraine.

Mais il n’y a pas que sur la sécurité et la défense que les responsables et les diplomates européens ne savent comment agir. Alors que l’UE affronte une crise du coût de la vie, conséquence de la gestion du Covid-19 puis de la guerre en Ukraine, elle doit maintenant faire face aux plans annoncés de droits de douane américains, qui pourraient mener à une nouvelle contraction des économies du Vieux Continent. Trump a promis taxer de 10% à 20% les produits européens importés aux Etats-Unis.

Dans ses tirades sur le commerce international, Trump a également ciblé l’Allemagne et ses grands exportateurs de voitures. En octobre, quelques semaines seulement avant sa victoire à la présidentielle, Trump a menacé : “Tous les gentils petits pays européens qui se réunissent, ils ne prennent pas nos voitures. Ils ne prennent pas nos produits agricoles.”

Dans ses tirades sur le commerce international, Trump a également ciblé l’Allemagne et ses grands exportateurs de voitures. | Jens Schlueter/AFP via Getty Images

“Non, non, non”, a-t-il ajouté. “Ils vont devoir payer le prix fort.”

Pour certains experts, de telles menaces, si elles étaient mises à exécution, pourraient entraîner une récession dans l’UE. En plus de perturber les échanges internationaux — en particulier les exportations chinoises — par ses droits de douane, le retour de Trump pourrait également porter un coup fatal à l’ordre commercial mondial, jusqu’à présent fondé sur des règles. Il en résulterait de “profondes pertes économiques”, selon l’Institut Kiel pour l’économie mondiale. Le think tank allemand prévoit une baisse de 0,5% du PIB de l’UE et une chute de la production allemande de 3,2%.

Pour l’instant, l’Union attend les menaces de Trump.

“Bien sûr, des scénarios sont envisagés et il est de notre devoir d’au moins s’assurer que nous sommes prêts”, a déclaré Reinette Klever, ministre néerlandaise du Commerce extérieur. “Mais il n’est pas judicieux, pour l’heure, de rendre publics tous ces scénarios. Ce ne serait pas non plus une bonne chose pour notre poids dans les négociations.”

Peu de points sur lesquels s’accorder

Le défi consistera à maintenir l’unité de l’UE si Trump tente de diviser pour mieux régner, compte tenu des différences entre les Etats membres et de leurs sensibilités politiques et économiques.

Paris, par exemple, pousse depuis longtemps l’UE à être plus indépendante en matière de défense et de sécurité. Quelques jours seulement après la victoire de Trump, Emmanuel Macron s’est empressé de dire à ses homologues lors d’une réunion à Budapest que “le monde est fait d’herbivores et de carnivores. Si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront et nous serons un marché pour eux.”

Lors d’un dîner informel le même soir, le message du président français n’a pas débouché sur des engagements ou des décisions concrètes, ce qui a déçu certains dirigeants présents dans la salle.

Le ministre estonien de la Défense, Hanno Pevkur, assure que l’UE avait l’argent nécessaire pour compenser si les Etats-Unis mettaient fin à leur aide militaire à l’Ukraine. “Le problème n’est pas l’argent, il est politique”, a-t-il pointé auprès de POLITICO.

Sur le plan politique justement, l’UE se trouve dans une phase de transition difficile. La nouvelle Commission européenne a mis des mois à se mettre en place et n’entrera en fonction que le 1er décembre.

Entre-temps, Berlin se prépare à de nouvelles élections en février. Toute idée européenne visant à accroître les dépenses communes de l’Europe ou l’aide militaire à l’Ukraine pourrait rapidement devenir un sujet sensible dans la campagne. Le chancelier Olaf Scholz, un social-démocrate, se positionne déjà auprès des électeurs comme le choix de la “prudence”, et refuse toujours de fournir à Kiev les missiles allemands à longue portée Taurus.

Même après ce scrutin, il ne sera pas facile de convaincre Berlin de débloquer plus d’argent pour les dépenses financières communes de l’Europe, ce qui risque d’assombrir les perspectives de sécurité de l’Union.

“Nous nous trouvons à un stade critique où de nombreux éléments fondamentaux de la prospérité européenne risquent d’être menacés”, conclut Mark Leonard.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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