Le potentiel rachat d’Ubisoft, l’autre dossier qui fait suer le gouvernement

Les parlementaires veulent inciter l’exécutif à prévenir la menace d’un rachat d’un fleuron de l’industrie française par le chinois Tencent.

Oct 15, 2024 - 13:00

BORDEAUX — Début octobre, Ubisoft inaugurait en fanfare, devant un parterre d’élus et de journalistes, ses locaux de Bordeaux nichés dans l’ancienne gare d’Orléans, sur les bords de la Garonne.

En coulisses, pourtant, l’ambiance n’est pas au beau fixe : outre une grève portant sur les conditions de travail, qui débute ce mardi, les rumeurs de rachat par le géant chinois Tencent ont fleuri sur fond de difficultés économiques de la pépite française.

Au point que des parlementaires se sont saisis du dossier : le 9 octobre, le député EPR Denis Masséglia a écrit au Premier ministre. Dans sa lettre, obtenue par POLITICO, il rappelle — sans citer nommément Ubisoft — que le jeu vidéo est “un enjeu de souveraineté culturelle et industrielle fort”. Et invite les pouvoirs publics à “prendre la mesure de cet enjeu et s’en saisir”.

Alors que l’exécutif est déjà sous pression dans un autre dossier très exposé, celui de Doliprane, l’avenir d’Ubisoft pourrait ajouter un autre casse-tête pour le gouvernement, à la peine pour défendre la souveraineté industrielle et économique française.

La situation d’Ubisoft est “observée de près par Emmanuel Macron et par le ministère de la Culture”, affirme à POLITICO un ex-conseiller de l’Elysée.

Contactée, la direction en France de Tencent Games n’a pas souhaité nous répondre. Entré en 2022 au capital d’Ubisoft, le géant technologique chinois en détient déjà 9,2%, contre 15% pour les fondateurs, la famille Guillemot. 

L’utilisation d’aides publiques en question

Un détail n’a pas échappé aux responsables politiques qui suivent le dossier : à Bordeaux le nouvel espace de 7 700 mètres carrés a largement été financé par le crédit d’impôt jeu vidéo, a annoncé lors de l’inauguration Alain Martinez, directeur financier du studio. Ce dispositif fiscal, créé en 2007, permet aux entreprises de déduire de leur impôt une part des dépenses de production d’un jeu.

Une déclaration qui n’a pas plu à tout le monde : “Nos aides publiques créent des fleurons français de l’industrie, qui profitent ensuite à des investisseurs chinois”, s’offusque le député RN Aurélien Lopez-Liguori.

L’élu lepéniste n’est pas le seul inquiet. Mais le gouvernement peut-il vraiment intervenir ?

Au cabinet du ministre de l’Economie, qui assure la cotutelle du secteur avec la Rue de Valois, on se dit “attentif aux rumeurs”.

Le crédit d’impôt jeu vidéo pourrait en tout cas être un premier moyen de pression. Notamment parce que “le studio bénéficiaire doit prouver que sa gestion reste majoritairement française”, explique-t-on au ministère de la Culture.

Le sénateur communiste Fabien Gay envisage d’ailleurs de muscler le dispositif, en allongeant la liste des contreparties. Par exemple, que le studio “augmente ses recrutements en France”, illustre-t-il.

Bercy pourrait sortir l’arme atomique

Autre moyen d’action possible : le contrôle de Bercy sur les investissements étrangers.  Certaines opérations sont en effet surveillées de près à la faveur du décret dit “Montebourg” de 2014, qui permet au gouvernement de mettre son veto sur les rachats dans des domaines jugés stratégiques, comme la sécurité des systèmes d’information ou l’armement. En 2018, il a été étendu aux technologies d’avenir et à l’aérospatial.

Rien, en revanche, sur les industries culturelles et créatives. “Contrairement à d’autres secteurs comme le secteur pharmaceutique, il n’y a pas de contrôle sur les investissements étrangers, reconnaît l’ancien conseiller élyséen. Et c’est très compliqué d’envoyer un message de protectionnisme dans ce secteur qui a besoin d’investissements étrangers.”

Toutefois, le lobbyiste Pascal Dupeyrat, fondateur du cabinet Relians, rappelle que trois critères cumulatifs peuvent entraîner un barrage. “Il doit s’agir d’un investisseur étranger qui prendrait le contrôle sur une activité sensible”, précise-t-il, soulignant que “ce n’est pas parce que c’est une entreprise de jeu qu’elle n’a pas d’activités sensibles”.

En effet, Ubisoft, pour développer ses jeux, utilise des technologies critiques, comme l’intelligence artificielle ou le stockage de données, qui pourraient venir qualifier son activité de sensible.

Reste qu’en empêchant le rachat d’Ubisoft, en difficultés financières, le gouvernement pourrait lui mettre un pied dans la tombe. Une décennie plus tôt, la vente de Dailymotion à l’Américain Yahoo avait été empêchée par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif. Une interdiction qui a stoppé net la croissance de la plateforme française à l’international.

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