Pourquoi Donald Trump est en guerre avec Keir Starmer à cause d’un post LinkedIn
La publication a déclenché une série d'événements qui risquent de nuire à la relation fragile entre l'ancien président américain et l'actuel Premier ministre britannique.
WASHINGTON, DC — Le Premier ministre britannique Keir Starmer a passé l’été à faire des ouvertures prudentes pour courtiser Donald Trump. Puis une responsable du Parti travailliste a lancé une grenade diplomatique sur LinkedIn.
Il y a moins d’un mois, Starmer a obtenu non seulement une rencontre avec le candidat républicain à la présidentielle américaine, mais aussi un dîner à la Trump Tower qui s’est prolongé dans la nuit.
Les représentants du gouvernement britannique étaient ravis de l’issue de cette rencontre, qui s’est déroulée pendant la visite de Starmer à New York pour un sommet mondial et qui a vu l’imprévisible ancien président républicain faire l’éloge du nouveau Premier ministre travailliste. Leur tête-à-tête a duré deux heures, et des assistants, euphoriques, auraient appelé l’aéroport pour repousser l’heure de départ de l’avion de Starmer qui s’apprêtait à rentrer chez lui.
La réussite de ce face-à-face a été un coup d’éclat pour un Premier ministre de gauche qui cherchait désespérément à s’attirer les bonnes grâces de l’homme de droite dure qui pourrait revenir à la Maison-Blanche. Très réservé, l’ancien avocat et procureur britannique spécialisé dans les droits de l’homme pourrait difficilement être plus différent de l’homme d’affaires américain grandiloquent et controversé.
Mais dans un pays où la “relation spéciale” avec les Etats-Unis est déterminante, même le plus fervent socialiste du nouveau gouvernement comprend la nécessité de garder Trump de son côté.
Tous ces efforts risquent toutefois d’être réduits à néant après qu’une responsable du parti travailliste a lancé sur LinkedIn un appel pour que les militants participent à la campagne de la candidate démocrate à la présidentielle américaine, Kamala Harris.
“J’ai près de 100 membres du Parti travailliste (actuels et anciens) qui vont aux Etats-Unis dans les prochaines semaines en Caroline du Nord, au Nevada, en Pennsylvanie et en Virginie”, a écrit Sofia Patel, responsable des opérations du parti. “J’ai 10 places disponibles pour tous ceux qui sont prêts à se rendre en Caroline du Nord, nous nous occuperons de votre logement.”
“Nous nous occuperons de votre logement”
Sofia Patel n’avait aucune raison de penser qu’elle était sur le point de provoquer un incident diplomatique. Elle avait partagé des messages similaires sur LinkedIn au cours des derniers mois. “J’organise un voyage pour le personnel du Parti travailliste afin d’aider nos amis de l’autre côté de l’océan à élire leur première femme présidente (la deuxième fois, c’est la bonne !)”, a-t-elle écrit en août. “Montrons aux démocrates comment gagner des élections !”
Mais cette fois-ci, ses actes ont déclenché une série d’événements qui risquent de nuire à la relation délicate que Starmer et son équipe ont passé des mois à forger avec le possible futur leader du monde libre.
Un compte X nommé “max”, avec un badge bleu et une photo de profil de l’écrivain Albert Camus, a publié une capture d’écran du message de Patel, après qu’un ami membre du personnel du Parti travailliste l’ait signalé au propriétaire du compte quatorze heures après sa mise en ligne. Max a écrit, sans fournir de preuve, que les personnes faisant campagne étaient “financées par le Parti travailliste”.
Le compte Politics UK — qui partage des articles politiques avec ses plus de 300 000 abonnés, les rendant viraux instantanément — l’a ensuite repris.
Le message a fait le tour de la sphère politique de X, partagé par des comptes pro-Trump de plus en plus suivis. Puis les choses sont vraiment devenues hors de contrôle.
Elon Musk, propriétaire de la plateforme X et partisan de Trump, a partagé l’une des captures d’écran avec un simple commentaire : “C’est illégal”. Que ce soit vrai ou non n’avait aucune importance : la grenade a explosé.
Les médias mainstream ont commencé à écrire sur ce sujet, tandis que les républicains se sont mis à critiquer les travaillistes. L’élue pro-Trump à la Chambre des représentants, Marjorie Taylor Greene, a déclaré que “les ressortissants étrangers ne sont pas autorisés à participer de quelque manière que ce soit aux élections américaines”, tandis que le sénateur Tom Cotton a considéré que l’invasion britannique des militants était “une raison de plus” de voter pour Trump.
Les travaillistes ont rapidement réagi. Les chefs ont mis fin à la coordination centrale des militants, même si les plans semblaient respecter les règles électorales américaines sur la prise en charge des bénévoles étrangers, puisque les militants finançaient leurs propres dépenses. Sofia Patel a supprimé tous les messages qu’elle avait postés sur LinkedIn au sujet du projet. Des collaborateurs ont tenté de minimiser l’importance de l’affaire lors de leurs conversations avec les journalistes.
Mais il était trop tard. Un groupe démocrate d’un Etat a annulé son projet d’accueillir des militants travaillistes. Peu importe qui a raison ou tort, l’indignation était devenue toxique ; il était désormais tout simplement trop dommageable de voir des Britanniques frapper aux portes des électeurs américains.
L’affaire aurait pu en rester là, si l’ancien président n’était pas intervenu lui-même.
Attirer l’attention
Alors que la polémique semblait s’être apaisée, l’équipe de campagne de Trump a révélé lundi soir que son service juridique avait déposé une plainte à la Commission électorale fédérale.
Elle estime que les actes des travaillistes équivalent à une “ingérence étrangère” et constituent donc une violation des règles de financement des campagnes électorales. L’essentiel de l’argumentation reposait sur le post LinkedIn, et sur la question de savoir s’il pouvait être interprété comme impliquant que les travaillistes injectaient des fonds importants pour essayer de faire élire Harris.
Les règles électorales américaines disposent que les volontaires étrangers peuvent apporter leur aide à condition qu’ils financent leurs propres dépenses et de ne pas prendre de décisions concernant la campagne. Les frais de voyage sont plafonnés à 1 000 dollars, mais les frais de nourriture et de logement ne sont pas limités. Les Américains peuvent héberger les bénévoles étrangers chez eux, à condition qu’il ne s’agisse pas d’une location.
Dans sa première déclaration officielle, le Parti travailliste a insisté sur le fait que les membres de son personnel qui se rendaient aux Etats-Unis le faisaient dans le respect des règles. “Lorsque des militants travaillistes participent, ils le font à leurs propres frais, conformément aux lois et aux règles”, précise le communiqué. Mais les républicains n’ont pas voulu les croire sur parole.
“Dans ce genre d’enquête, ce sont les détails qui comptent”, a souligné Jason Torchinsky, un avocat républicain spécialisé dans les questions financières. “Les travaillistes peuvent prétendre que les militants se financent eux-mêmes, mais la coordination centrale évidente et certaines formulations sur LinkedIn soulèvent des questions. Il y a certainement assez de fumée ici pour qu’il vaille la peine de vérifier s’il y a un feu.”
Certains observateurs ont estimé que la réaction des républicains était tout simplement Trump faisant du Trump : instrumentaliser un événement pour en faire un sujet de clivage politique.
“Cette plainte déposée par l’équipe de campagne de Trump contre celle de Harris semble avoir été calculée pour faire la une de la presse et des sujets de discussion pour le candidat Trump et n’a pas grand-chose à voir avec les fondements juridiques de la plainte”, analyse Ciara Torres-Spelliscy, professeur de droit électoral à l’université de Stetson, en Floride.
Elle ajoute que la Commission électorale fédérale était “réputée pour ne pas faire respecter les lois sur le financement des campagnes électorales” — une autre raison pour laquelle on s’attend à ce que la plainte ne débouche sur pas grand-chose. Le propre calendrier de la commission suggère qu’elle ne donnera pas de réponse avant la fin de l’élection.
Retour de grenade
Indépendamment du bien-fondé de la plainte, des tirs internes ont commencé à être dirigés contre Sofia Patel en raison de la formulation ambiguë de ses messages sur LinkedIn.
“Elle reçoit de nombreux retours de bâton à ce sujet”, relate une personne proche de la coordination initiale des militants travaillistes, “notamment de la part de ses collègues qui pensent qu’elle a agi de manière imprudente. Les travaillistes prennent leurs distances avec elle, non seulement par rapport à ses actions, mais aussi par rapport à son professionnalisme.”
Certains, cependant, ont pris la défense de cette responsable qui voulait simplement aider et qui n’est pas en mesure de se défendre en public.
“Cette affaire a été largement exagérée et il est injuste que cette collaboratrice, qui est toujours restée en coulisses, soit jetée sous [les] projecteurs internationaux pour ce qui est clairement un projet inoffensif”, a déclaré Tara Jane O’Reilly, une ancienne collaboratrice du parti travailliste, sur X. “J’espère que les hauts responsables au Parti travailliste la soutiennent.”
Les alliés du Labour à Washington ont reconnu que la colère n’était qu’une tempête dans un verre d’eau et ont fait valoir que, bien qu’elle ait fait des remous au Royaume-Uni, la querelle n’avait que peu d’impact aux Etats-Unis.
“Dans le cadre d’une élection à plusieurs milliards de dollars aux Etats-Unis, la question d’une poignée de bénévoles venant du Royaume-Uni est secondaire de chez secondaire”, tempère Josh Freed, vice-président du think tank de centre gauche Third Way à Washington.
Il souligne que des échanges de bénévoles ont lieu à chaque élection entre les travaillistes et les démocrates, ainsi qu’entre les conservateurs et les républicains. Même lors des législatives britanniques de l’été dernier, un ministre tory a proposé de coordonner une équipe de républicains pour aider les conservateurs à faire campagne.
Même des personnalités de droite très haut placées sont connues pour s’entraider de chaque côté de l’Atlantique.
En février, l’ancienne Première ministre Liz Truss a participé à la conférence de droite (le CPAC), tandis que le leader de Reform UK Nigel Farage a rejoint Trump lors de ses meetings de campagne en 2016 et 2020. Farage et l’ancien Premier ministre conservateur Boris Johnson ont tous deux assisté à la dernière convention républicaine. Les Tories ont fait valoir que la situation était différente pour les travaillistes maintenant qu’ils sont au pouvoir.
Ne jamais se relâcher
Josh Freed admet toutefois que le Parti travailliste a mal géré la manière dont son projet a été rendu public, permettant à Trump et à ses partisans d’en profiter. L’épisode a mis un coup au travail de longue date entre les travaillistes et les démocrates pour coordonner et soutenir le centre gauche.
“En politique, la leçon générale est que tout ce qui se passe en ligne se passe en public et que les gens doivent être très prudents, explicites et bien réfléchir à ce qu’ils disent”, nous résume-t-on. “Tout est désormais vu et interprété à travers un prisme partisan.”
La personne anonyme citée ci-dessus convient qu’un projet de campagne de longue date, jusqu’ici non controversé, a été instrumentalisé à des fins politiques par Trump, en utilisant Starmer et le gouvernement britannique comme cible indirecte. “Ils essaient de renverser toute l’histoire de l’ingérence étrangère”, cette personne à propos du camp MAGA (Make America Great Again).
La préoccupation de Starmer est de savoir si ses tentatives subtiles pour obtenir le soutien de Trump sont devenues inutiles ou si les dommages peuvent être réparés.
Farage, qui est influent dans le camp Trump, a déclaré que Starmer avait “insulté la future administration Trump”, tandis que Richard Grennell, pressenti à Washington comme un possible choix de Trump pour le poste de secrétaire d’Etat (l’équivalent de ministre des Affaires étrangères), a critiqué les travaillistes sur la BBC.
Starmer lui-même a été contraint d’insister sur le fait que cette dispute ne mettrait pas en péril ses relations avec Trump, si le candidat républicain revenait effectivement à la Maison-Blanche.
“J’ai passé du temps à New York avec le président Trump, j’ai dîné avec lui et mon but était de m’assurer qu’entre nous deux, nous établissions une bonne relation, c’est ce que nous avons fait”, a-t-il déclaré aux journalistes.
“Nous avons eu une bonne discussion constructive et, bien sûr, en tant que Premier ministre du Royaume-Uni, je travaillerai avec la personne que le peuple américain choisira comme président, quelle qu’elle soit.”
John Johnston a contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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